L’Égypte a subi de lourdes contraintes économiques au cours de la première moitié de l’année 2011 et il est probable que cette situation perdure plusieurs mois en raison de la baisse des revenus touristiques, de la diminution de la production et des investissements et du net recul des offres d’emploi, notamment dans le secteur privé. Un repli de la croissance économique doit également être anticipé. Selon les prévisions les plus optimistes, le taux de croissance se stabilisera aux alentours de 2%, le taux le plus bas enregistré lors des dix dernières années.

A l’opposé, les dépenses publiques connaissent une hausse accrue en raison de l’augmentation des salaires des fonctionnaires de l’État de l’ordre de 15% et de l’accroissement du budget alloué à la subvention des produits alimentaires pour contrecarrer les effets de la hausse fulgurante des prix qui frappe les marchés mondiaux. Les prévisions les plus récentes indiquent que le budget public pour l’exercice 2010/2011 pourrait afficher un déficit dépassant 10% du produit intérieur brut (PIB).

Face à ces indications, le gouvernement égyptien s’active à trouver des sources de financement extérieures pour combler le déficit public et dresser le budget du prochain exercice financier qui débute le 1er juillet. Des sources ont en effet révélé que des contacts sont en cours avec plusieurs institutions internationales, notamment le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale, et que des pourparlers ont été initiés avec les partenaires de longue date de l’Égypte, comme les États-Unis, l’Union européenne et les pays du Golfe.

Le président américain Barack Obama a d’ailleurs annoncé lors de son dernier discours sur le Moyen-Orient des mesures de soutien à l’économie égyptienne visant à convertir un milliard de dollars de la dette égyptienne en investissements et aider l’Égypte à accéder aux marchés financiers mondiaux en lui accordant des garanties de prêts allant jusqu’à un milliard de dollars. L’Overseas Private Investment Corporation (OPIC) prévoit également d’accorder au pays un milliard de dollars en soutien financier. La dette de l’Égypte vis-à-vis des États-Unis s’élève à 3 milliards de dollars, le total de la dette extérieure du pays étant de 32 milliards. L’Arabie saoudite a de même annoncé un programme de prêts, de subventions et de soutien aux projets d’investissement en Égypte d’un montant total allant jusqu’à 4 milliards de dollars.

D’autres négociations sont également en cours avec le FMI pour l’obtention de prêts allant jusqu’à 4 milliards de dollars. Par ailleurs, le G8 travaille sur l’élaboration d’un plan qui sera annoncé à Paris durant les jours qui suivent et qui pourrait inclure d’autres programmes de prêts et des projets de partenariats d'investissement. Certaines sources indiquent aussi que le plan de coopération avec les États membres de l’Union européenne et du G8 pourrait se traduire par le financement direct de projets en Égypte à hauteur de 10 milliards de dollars en une seule année.

Il n’en reste pas moins que l’empressement de l’Égypte à obtenir des prêts étrangers et des aides financières soulève un certain nombre de questions sur la pertinence de cette approche et les effets qu’elle pourrait avoir sur le processus de transition démocratique, et ce pour les raisons suivantes :

- Le gouvernement actuel composé de technocrates est censé expédier les affaires courantes pendant la période transitoire jusqu’à la tenue des prochaines élections législatives et présidentielles. Ainsi, le gouvernement transitoire ne devrait raisonnablement pas prendre des engagements dont les effets dépassent clairement le cadre de la période transitoire, à moins qu’ils ne revêtent une importance capitale pour la gestion de cette phase. Ce type d’engagements peut en effet peser lourd sur l’économie égyptienne et limiter la capacité de tout gouvernement élu à engager les réformes nécessaires.

- Le lancement de partenariats dans les domaines du commerce et de l'investissement ne doit normalement se produire qu’après avoir défini les priorités économiques et sociales de l’Égypte à la lumière du changement démocratique que le pays connaît à l’heure actuelle. Mais pour définir ces priorités, des consultations devraient avoir lieu et des programmes électoraux devraient être élaborés pour ensuite parvenir à un consensus politique au sein des institutions de l’État. Toutefois, ce travail ne peut être entrepris ni par les groupes consultatifs chargés de conseiller les ministres actuels, ni par les experts du FMI et de la Banque mondiale.

- Bien qu’il soit impossible d’ignorer ou de minimiser le coût économique de la révolution populaire survenue cette année en Égypte, certains rapports ont tendance à exagérer l'ampleur des difficultés économiques, ce qui leur fait perdre leur crédibilité. En effet, la consommation locale qui représente la composante principale de la demande demeure largement stable et les transferts monétaires des Égyptiens travaillant à l'étranger se poursuivent à un rythme quasi-normal. De plus, l’activité du secteur touristique qui a vu ses revenus chuter de près d’un quart au cours de l’exercice financier actuel pourrait reprendre progressivement à partir du dernier trimestre de cette année. Par ailleurs, les indicateurs économiques ne reflètent pas de manière générale une dégradation particulièrement alarmante de la situation économique et la lecture attentive de ces indices appelle à calmer cette frénésie d’endettement extérieur, notamment si les conditions d’octroi de prêts sont défavorables.

- La banque centrale d’Égypte détient des réserves de devises étrangères estimées à 28 milliards de dollars. Bien que le solde ait baissé de 8 milliards de dollars depuis le début de l’année, le montant actuel des devises étrangères permet toujours de couvrir six mois d'importations, une situation que l'on peut qualifier de relativement confortable.

- Le financement du déficit budgétaire dépend principalement des sources locales et il est peu probable que ce financement constitue un obstacle majeur d’ici la fin de l’année prochaine en raison du volume de liquidités dont dispose le secteur bancaire, comme l’a souligné le rapport le plus récent de l’Institut international de la finance (Institute of International Finance, IIF).

Pour conclure, l’empressement de l’Égypte à bénéficier de nouveaux programmes d’emprunt et de partenariats dans les domaines du commerce et de l’investissement pouvant inclure des conditions et des engagements lourds de conséquences pour le gouvernement égyptien ne semble pas être un choix suffisamment justifié et fondé sur des bases économiques solides. De plus, les mesures prises par le gouvernement transitoire ne sont pas le fruit d’une stratégie économique claire ayant fait l’objet d’un consensus politique et seraient à même de limiter la marge de manœuvre du gouvernement qui sera élu à la suite des prochaines élections.

 (Traduction: Pierre-Arnaud Blanchard)